Illustration et article de Isabelle Eliat-Serck
2 mars 2024
Malgré l’abondance d’agents sécuritaires cagoulés, le balayage des visages par des caméras de contrôle et la menace glaçante d’arrestations et emprisonnements, des milliers de Russes se sont rassemblés ce 1er mars pour honorer Alexeï Navalny autour de l’église et du cimetière où il fut enterré. Ils scandaient et répétaient son nom « Alexeï, Alexeï, Alexeï… », « Navalny, Navalny… », comme pour se convaincre que l’esprit créatif de cet homme libre, activiste anti-corruption, droit et courageux restait vivant ! Alexeï représentait l’espoir. Il doit rester vivant ! Rescapé d’un empoisonnement orchestré par le Kremlin en 2020, Alexeï a néanmoins décidé de retourner en Russie, son « pays bien-aimé », en homme debout. A peine arrivé à l’aéroport, déjà, on l’embarquait pour l’emprisonner.
Après trois ans d’enfermement et de tortures, depuis la cellule de son goulag, le geste favori d’Alexeï restait de joindre les deux mains pour former un coeur ! Dans ses discours, Alexeï utilisait le mot amour, tout l’opposé du langage de mort et de haine de Poutine.
Certains Russes présents aux obsèques ont pris le risque de se confier à la presse étrangère : « Cet homme n’est pas seulement mort pour un idéal : il est mort pour nous tous ! », « C’est un grand jour de deuil ! ». D’autres ont osé crier tout haut leurs convictions politiques : « Les Ukrainiens sont des gens biens ! », « Ramenez-nous nos soldats ! », « Non à la guerre ! », ce qui vaudra à certains arrestation et emprisonnement.
La grande stratégie de Poutine, dans laquelle il excelle, c’est l’art de diviser pour mieux régner. A coup de propagande, de menaces, de mensonges, de meurtres, de contrôles et de répression sans pitié contre tout ce qui menace son pouvoir absolu, Poutine divise non seulement les Russes entre eux, mais les pays, les continents et le monde contre lui-même. Toujours plus de morts entrainent toujours plus de haine…
« Poutine veut tuer nos espoirs, notre liberté, notre futur et la preuve que la Russie peut être différente ». Pourtant, « il y a des dizaines de millions de Russes qui sont contre Poutine, contre la guerre, contre le mal qu’il apporte”, nous affirme Yulia Navalnya, nous exhortant à rester créatifs, vivants, innovants, comme l’était son mari. « Soyez politiquement novateurs », « en luttant efficacement contre le crime organisé et la mafia », « plutôt qu’en multipliant les notes diplomatiques et les déclarations de guerre », a-t-elle demandé au Parlement Européen.
Et nous ? Simples citoyens de nos pays d’Europe, que pouvons-nous faire dans un sens novateur ? Pas grand-chose sans doute, mais ce n’est pas une raison pour rester paralysés : « Ce n’est pas honteux de faire peu, c’est honteux de ne rien faire » aimait répéter Navalny. Il me semble que ce qui pourrait affaiblir le pouvoir de Poutine et son « gang », serait de créer plus de liens avec le peuple russe ici ou ailleurs. Rencontrer les Russes et Ukrainiens autour de nous, inonder encore plus
densément toutes les brèches possibles de réseaux russes avec des messages de soutien au peuple, d’encouragements bienveillants, d’information éclairante. Faisons du peuple russe notre allié. Oui, je pense que dans ce sens, nous pouvons chacun trouver une voie pour poser notre petite pierre. « Nous devons utiliser chaque possible occasion d’agir ! » martelait Alexeï, en précisant : « Tout ce dont le mal a besoin pour triompher, c’est l’inaction des gens biens » !
… Là où est la division, que je mette l’union. Là où est l’erreur, que je mette la vérité. Là où est le doute, que je mette la foi. Là où est le désespoir, que je mette l’espérance…
mots attribués à François d’Assise
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